Les principales raisons de ne pas suivre un régime cétogène contre le cancer
En pratique, que représente de faire un régime cétogène ?
Dans un régime cétogène, les lipides doivent représenter de 70 à 90% de l’apport énergétique, les protéines de 10 à 20%, et les glucides pas plus de 10%.
Or, dans une alimentation équilibrée, les glucides devraient fournir environ 55 % des calories, les lipides, 35% et les protéines autour de 10%.
Première constatation : l’écart est tout simplement trop important !
Concrètement, vous pourriez manger toutes les viandes, y compris les plus grasses (côtelette d’agneau, échine de porc, entrecôte de bœuf…), les volailles avec leur peau, les charcuteries, tous les poissons notamment les poissons gras (hareng, maquereau, sardine, saumon), les œufs, tous les fromages, les fruits oléagineux. Les corps gras s’utiliseraient à volonté en assaisonnement ou en cuisson. Beurre, crème fraîche ou huile de coco sont recommandés au quotidien.
Les principales sources de glucides devraient être supprimées : les pains, biscottes, céréales de petit-déjeuner, tous les féculents (pâtes, riz, pommes de terre, semoule, maïs, quinoa, légumes secs), les quiches, pizzas, plats cuisinés et sauces du commerce, les biscuits, et bien sûr les sucres rapides.
Seul le chocolat contenant plus de 85 % de cacao (presque pas sucré) est autorisé en petite quantité. Vous devez limiter les laitages à un par jour (puisqu’ils apportent du lactose, qui est un sucre). Légumes et surtout les fruits sont très limités. Seul l’avocat est promu du fait de sa richesse en graisses.
Quel est le but ? de reproduire un effet du jeûne par baisse de la glycémie, ce qui amène le foie à produire des corps cétoniques, ces corps cétoniques pouvant être utilisés comme carburants, en particulier par les neurones.
Sur quoi on peut être d’accord
- Réduire les glucides rapides, tout le monde peut être d’accord.
- Limiter les produits laitiers, nous l’avons expliqué de nombreuses fois.
- Consommer du chocolat riche en cacao.
- manger de l’avocat, qui est surtout composé de graisses mono-insaturées.
Sur quoi on ne peut pas être d’accord
Promouvoir les graisses, quelle que soit leur qualité est totalement inacceptable. Les graisses saturées qu’elles soient chaînes longues, moyennes ou courtes, ne peuvent pas dépasser au grand maximum 10% des graisses du fait qu’elles sont non seulement très peu combustibles, mais qu’elles augmentent les triglycérides. Ces triglycérides s’accumulent dans le foie et donnent des stéatoses, c’est-à-dire un foie gras, ce qui a été montré dans les études chez les animaux soumis à un régime cétogène. Et ils s’accumulent dans le tissu adipeux.
Les mêmes acides gras saturés se retrouvent dans les membranes cellulaires qui se rigidifient, ce qui ralentit leur nutrition, leur métabolisme et l’expression des gènes. Au niveau des globules rouges, cela les rend incapables de bien se faufiler dans les plus petits vaisseaux, les capillaires, où ils doivent délivrer l’oxygène.
Par ailleurs ces graisses saturées bloquent le métabolisme des acides gras polyinsaturés, ce qui aboutit à des effets inflammatoires. Et perturbent la composition de la flore du colon, ce qui a aussi des effets inflammatoires.
Si l’on consomme de l’huile de coco, on ne consomme pas les huiles démontrées les plus profitables pour la santé : l’huile d’olive vierge riche en polyphénols et l’huile de colza ou les huiles encore plus riches en oméga 3.
Il est demandé de limiter les produits laitiers parce que riches en lactose, soit, mais de favoriser ceux qui sont riches en graisses : fromage, beurre, crème fraîche… est évidemment une aberration.
Réduire aussi drastiquement les apports en glucides complexes est intenable. Car les glucides complexes sont des végétaux associés à des fibres, indispensables à la bonne santé de la flore intestinale. Ils sont des sources riches en minéraux protecteurs comme le magnésium et le potassium et en polyphénols. Mais, encore plus important, ce sont les seules sources de protéines végétales. Si on n’en consomme très peu, on est obligé de consommer beaucoup trop de protéines animales, les aliments les plus inflammatoires qui existent. Leur consommation augmente les risques de surpoids, de diabète, de maladies cardiovasculaires, de maladies neuro-dégénératives, entre autres.
Le fait que les tumeurs utilisent du glucose comme nutriment a incité de nombreuses personnes à essayer le régime cétogène en accompagnement du traitement des cancers. |
Huit problèmes devraient pourtant nous inciter à ne pas le faire :
1. Les acides gras sont également des nutriments privilégiés par les cellules cancéreuses.
2. Les cellules cancéreuses se servent des graisses saturées, y compris celles de l’huile de coco, pour se «blinder» contre les attaques des substances corrosives émises par les globules blancs, les chimio- et les radiothérapies.
3. De nombreuses études indiquent que les tumeurs surexpriment leur capacité à capter le glucose. Elles arrivent ainsi à détourner le manque de glucose en augmentant la glycolyse ou en se servant du lactate. Par ailleurs, les cellules cancéreuses emploient d’autres carburants de manière privilégiée, notamment la glutamine. Or le « détricotage » inflammatoire des fibres musculaires, libérateur de glutamine, est amplifié par le régime cétonique. Autrement dit, le régime cétogène aggrave les pertes musculaires déjà très problématiques chez les cancéreux. Les chercheurs ne cessent de découvrir des moyens par lesquels les cellules cancéreuses détournent le métabolisme à leur profit. Elles attirent, par exemple, des fibroblastes qu’elles amènent à importer au moyen d’exosomes (de petites poches de membranes) des nutriments. Comme l’explique Nissim Hay de l’université d’Illinois à Chicago, il est beaucoup plus compliqué qu’on ne le pensait de réduire l’accessibilité au glucose des cellules cancéreuses (contrairement à ce qu’affirment des oncologues « simplistes » et irresponsables comme Laurent Schwartz).
4. Une alimentation riche en graisses et en protéines animales est pro-inflammatoire. Toutes les voies connues sont activées: perturbation de la flore digestive, métabolisme des acides gras orienté vers la production de prostaglandines inflammatoires, activation du chef d’orchestre mTOR, activation de NFkappa-B… Or mTOR et NFkappa-B sont des signaux à la fois d’inflammation et de prolifération. L’initiation des cancers, leur caractère prolifératif et invasif, l’angiogenèse ainsi que la capacité métastatique, se servent tous de l’inflammation comme amplificateur.
Les études sont formelles : consommer plus de viande accroît l’inflammation, à commencer par celle du côlon. C’est une des raisons pour lesquelles la consommation de viande élève non seulement les risques de cancers digestifs, mais aussi de quasiment tous les cancers. Par ailleurs, consommer plus de graisses saturées et d’oméga-6 joue également un rôle inflammatoire et promoteur des cancers, en particulier du sein et de la prostate.
5. Le régime cétogène prétend reproduire les conditions du jeûne. Mais s’il fait baisser, en effet, les taux de glucose circulant comme le jeûne, il a un rôle inverse sur l’IGF1 (facteur de promotion tumorale). Le jeûne et les polyphénols font bien baisser l’IGF1, mais les protéines animales – en particulier les viandes, produits laitiers et les graisses – le font monter. Le régime cétogène a donc un effet promoteur.
6. La baisse drastique de la consommation de végétaux fait s’effondrer les apports en fibres indispensables à la flore, en polyphénols, en minéraux comme le magnésium et en antioxydants anti-inflammatoires. Et cela alors que toutes les études montrent des effets protecteurs majeurs d’une alimentation anti-inflammatoire à dominante végétale sur les cancers.
7. Les patients cancéreux ont besoin de leur masse musculaire (dont dépend la réponse immunitaire) et de leur capacité à bouger pour lutter contre leurs tumeurs. Or le régime cétogène réduit la masse musculaire, fatigue et entraîne une baisse notable de l’envie de bouger.
8. S’ajoute à tout cela que l’un des effets secondaires les plus fréquents du régime cétogène est de donner des nausées, ce qui est déjà un des effets secondaires les plus mal vécus des chimiothérapies…
Que disent les études ?
Chez l’animal, certaines études montrent des effets antitumoraux à court terme. Mais plusieurs synthèses (Klement, 2 017 ; Weber, 2018) concernant les études chez l’homme concluent que l’on ne dispose d’aucune étude randomisée fiable, seulement de quelques observations anecdotiques sans valeur scientifique. Il existe plus d’études sur le glioblastome, mais encore une fois, elles ne permettent pas de conclure sur l’intérêt d’une telle approche complémentaire. En effet, une synthèse de 2015 n’enregistre que trois études arrivant à un total de trente-deux cas traités au total !
Dans ces conditions, méfiance lorsque des auteurs comme Ulrike Kämmerer (Le Régime cétogène contre le cancer) en Allemagne se permettent de médiatiser ce régime comme l’alimentation idéale en cas de cancer. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une exploitation de la crédulité du public par des gourous irresponsables ! Le titre du chapitre II du livre de Kämmerer est éloquent : « Les glucides, les fruits, les légumes sont-ils aussi bons pour la santé qu’on le croit ? ». Les quarante dernières années de la recherche en nutrition l’ont pourtant définitivement démontré… |
Docteur Jean-Paul Curtay
Pour en savoir plus sur le régime cétogène et les cancers :
- Daniela D Weber et al, Ketogenic diet in cancer therapy, Aging (Albany NY). 2018 , 10 (2) : 164–165.
- Klement RJ et al, Beneficial effects of ketogenic diets for cancer patients: a realist review with focus on evidence and confirmation, Med Oncol, 2017, 34 (8) : 132
- Schwartz K et al, Treatment of glioma patients with ketogenic diets : report of two cases treated with an IRB-approved energy-restricted ketogenic diet protocol and review of the literature, Cancer Metab, 2015, 3 : 3
- Kumar A et al, Sestrin2 facilitates glutamine-dependent transcription of PGC-1α and survival of liver cancer cells under glucose limitation, FEBS J, 2018, 285 (7) : 1326-1345
- Hongyun Zhao et al, Tumor microenvironment derived exosomes pleiotropically modulate cancer cell metabolism, eLife, 2016, 5 : e10250
- Nissim Hay et al, Reprogramming glucose metabolism in cancer: can it be exploited for cancer therapy ?, Nat Rev Cancer, 2016, 16 (10) : 635–649.
- Chunxia Li et al, Metabolic reprogramming in cancer cells : glycolysis, glutaminolysis, and Bcl-2 proteins as novel therapeutic targets for cancer, World J Surg Oncol. 2016, 14 : 15